Wilney Taris

Haïti : 3 ans après rien n’a changé, les Haïtiens non plus !

Des journaliers du CNE coupent des herbes sauvages autour de la grosse pierre où le monument à la mémoire des disparus du séisme du 12 janvier devait être érigéJean Marc Hervé Abélard
Des journaliers du CNE coupent des herbes sauvages autour de la grosse pierre où le monument à la mémoire des disparus du séisme du 12 janvier devait être érigé
Jean Marc Hervé Abélard

Trois ans déjà qu’Haïti vit sous les tentes. Trois ans déjà que 2.000 jeunes Haïtiens se sont amputés. Trois ans que mon ami, collègue de travail de surcroît est parti. Comme le 11 septembre 2001 aux Etats Unis, cette date horrible et macabre qu’est le 12 janvier 2010 ne sortira jamais de la tête des Haïtiens tant ils ont souffert.

Généralement, quand on est en danger, on cherche un endroit pour trouver un refuge, mais vous conviendrez avec moi que ce dernier ne se trouve nulle part sur cette planète (la terre). Et lorsque vous voyez que celle-ci est en danger, en bon croyant, on ne peut qu’espérer le paradis comme refuge. En voyant le palais national et la cathédrale de Port-au-Prince s’écrouler sous la puissance du séisme, je ne pouvais pas imaginer le contraire. Sans rien vous cacher, mes chères lectrices et mes chers lecteurs, j’avais fait ma dernière prière dans l’espoir de me créer une place au paradis.

Mais ma grande stupéfaction a été de voir le pouvoir de métamorphose temporaire que l’évènement du 12 janvier 2010 a eu sur mes frères et sœurs Haïtiens.

Quelques minutes après que la terre ait tremblé, tout le monde est devenu apôtre de la bonne nouvelle de repentance. « Repentez-vous ! Ceci est le sort de vos péchés. Cessez de faire la méchanceté , répétait quasiment tout le monde dans le quartier où j’étais ce soir là. Ce jour là, tout le monde était généreux. Il n’y avait pas de classe, on était tous le peuple haïtien. « Je me suis réconciliée avec mon ennemi sans même le savoir », me déclare dans un autobus une femme assise à mes côtés.

J’étais convaincu qu’Haïti allait changer. Qu’enfin les Haïtiens allaient se mettre ensemble pour mener à bien le pays de Jean Jacques Dessalines.

Mais hélas !

Les gangs rivaux continuent de s’affronter lors des élections. Les hommes politiques suivent encore le chemin des beaux discours pour n’arriver qu’à la destination des actions insensées. La communauté internationale garde toujours la même position : transiter l’aide par les ONGs, qui ne cessent de financer des projets pour ne voir que dalle à la fin comme résultat.

Quelles sont les dispositions qui ont été prises pour prévenir une catastrophe du genre ? Aucune. Tout le monde se lève un bon matin, trouve une portion de terre et construit une maison. Sans que la mairie, l’instance chargée de donner les permis de construire, ne dise rien.

Dans la deuxième ville du pays (Cap-Haïtien), le risque est imminent. Un exercice de simulation a été fait au cas où la colère sismique se fasse sentir dans le nord, mais les constructions anarchiques continuent à un rythme effréné.

Maison en construction, par Cyrus Sibert, RESEAU CITADELLE
Maison en construction, par Cyrus Sibert, RESEAU CITADELLE

12 janvier objet de baratin

Pendant que des milliers de gens souffrent de la perte d’un proche, certains utilisent l’évènement du 12 janvier pour embobiner d’autres personnes. Comme cet homme qui raconte à presque tout le pays que sa maison s’est effondrée suite au séisme avec sa voiture dans le parking, alors qu’il ne possédait pas en réalité même une bicyclette. Peut être qu’il a raison de mentir, car en Haïti trop souvent la valeur d’un homme se définit à la mesure de ce qu’il possède.

Par contre, en regardant l’ampleur de la commémoration du 12 janvier par les autorités haïtiennes, on ne peut pas trop s’en prendre à cet homme. Une célébration à la hauteur des semelles, car même le monument promis par le président Michel Joseph Martelly au plus de 200.000 disparus reste jusqu’à aujourd’hui, trois ans après, un baratin.


Prière du 22 décembre : La fin du monde était mon seul espoir !

Des femmes prient pour Haïti
Des femmes prient pour Haïti, Google

Au lendemain du 21 décembre 2012, date qui devait amener la fin du monde selon le calendrier maya, une femme adresse une prière à Dieu pour lui exprimer son mécontentement. Ne me demandez surtout pas à rencontrer cette dame car après l’avoir entendue, disons mieux réfléchi sa prière, je ne me souviens même pas de l’endroit où je l’ai rencontrée. Elle commence par cette rituelle multiplication de Dieu que je peine toujours à comprendre.

« Dieu trois fois saints », moi qui te connais comme un bienfaiteur, pourquoi tu m’as fait ce mal ? Regarde, je suis réveillée ce matin, pour la première fois de toute ma vie,  avec la joie au cœur, avec le sentiment que mon ventre est bien rempli, croyant que j’étais au paradis. Mais, lorsque j’entends les commérages de Fosia à l’extérieur je me rends compte que j’étais encore sur cette terre maudite. Car au paradis, je sais qu’il n’y a pas de place pour ce « pye lejè » (commérage).

Finalement je me rends compte, comme toi, que je n’ai fait que commencer à porter ma croix.

Grand Maître pourquoi en as tu décidé autrement ? Pourquoi n’as-tu pas mis fin a ce monde et du même coup mettre fin a ma misère ici bas ?

Contrairement à tout ceux qui s’inquiétaient de la fin du monde ce 21 décembre, j’étais prête à l’accueillir moi même. Oui Seigneur ! J’étais prête. Parce que définitivement je suis convaincue que ton plan pour moi est au paradis. D’ailleurs, dans l’une des chansons pour t’adorer, on l’annonce :

Se yon bèl palè kristal

Avèk anpil chèz an ò*

Bon Papa, rien n’est disponible pour moi sur cette Terre. Même le sommeil me fait défaut. Car dans ma petite maison avec son toit de passoire, la pluie est devenue mon pire ennemi. J’aurais préféré travailler pour pharaon tous les jours au lieu de me lancer dans cette tache ardue durant les nuits pluvieuses. Celle de libérer ma maisonnette de l’eau qui l’envahit. Sinon, je pourrai me réveiller le lendemain et me trouver dans une embouchure.

Le seul jour où je me rappelle avoir bien dormi, c’est à la suite de mon accident ce 28 août  A la veille de la réouverture des classes, je me débrouillais dans les rues pour envoyer mon garçon à l’école, lorsque j’ai eu cet accident. Je ne l’oublierai jamais et je te dis merci Seigneur de me l’avoir accordé.

Grâce à lui, j’ai été admise à un des hôpitaux de « gran zouzoune » (première classe) de Haïti et j’ai passé une nuit merveilleuse sur ces lits venant du ciel. Oui ! Ils étaient tellement… Je ne sais quoi dire tant je me suis sentie a l’aise sur ce lit, ils ne pouvaient venir des mains de l’homme méchant.

En plus de cette faveur, la dame m’a donnée 1000 Gourdes (17.96 Euros). Ce qui m’a permis d’agrandir mon petit commerce et d’acheter une paire de chaussures pour mon garçon. Sinon, mon petit garçon ne serait pas à l’école aujourd’hui.

Le président de la République m’a épargnée les 100 gourdes que je payais d’habitude à l’école nationale, mais il m’a fallu aussi des chaussures pour que mon fils puisse se rendre à l’école. Maintenant que tu décides de prolonger la vie de ce monde, Seigneur aurai-je le courage de vivre ? Quant au changement qu’avait annoncé le président lors de sa campagne, je n’en ai que 100 gourdes (1.80 Euros) pour une année. Donc mon seul espoir était de partir de ce monde.

Heureusement, j’ai comme président, l’éternel des armées !

Peut être que notre cher président oiseau doit en train de fêter en ce moment parce qu’il va poursuivre son « Vendée Globe » en avion.

Chaque jour est un véritable cauchemar pour moi Seigneur bon papa, en réfléchissant à mon fils qui ne va rien trouvé quand il revient de l’école. Personne ne voudra me vendre à crédit, car je dois à toutes les marchandes du quartier. En sachant que la fin du monde devait arriver  ce 21 décembre, j’avais ressenti la joie de quitter cette terre.

La joie d’aller vivre au près de toi mon Dieu et de finir avec les calamités que j’endure ici.

La joie d’être enfin considérée comme un humain que tout le monde respect.

La  joie de regarder à travers la fenêtre du paradis les méchants qui m’ont trompée, brûler en enfer. Aussi bien que l’homme qui m’a abandonnée avec cet enfant. Il n’a que les qualités de séduire les femmes et les emmener au 7e ciel. Oui ! Cela Seigneur je peux en témoigner. Je pourrai lui pardonner l’abandon mais jamais je ne lui pardonnerai de m’avoir privée de ses baises.

Je te prie au nom de Jésus

Amen

*c’est un beau palais cristal

Avec des chaises en or.


Une mise en-terre-ment comme une mise en scène

une peinture de Préfète Duffaut. Credit photo (alterpresse)

« Tout le monde veut aller au ciel mais personne ne veut mourir », me répète ironiquement un ami à chaque fois qu’il croise mon chemin. En bon chrétien, je ne peux pas l’encourager dans cette voie face à mes frères et sœurs mais au fond, je dis qu’il a raison. A l’église on nous enseigne que la mort en christ n’est pas une perte. Par contre, quand un fidèle est malade, il n’attend que sa guérison pour venir témoigner sa victoire sur la mort. On dirait quelqu’un qui se réjouit d’avoir raté le jackpot alors qu’il a misé. Bien qu’en réalité, personne ne peut faire obstacle à cette dernière quand elle décide de faire son apparition.

Je me demande souvent pourquoi les autorités ne prennent jamais une mesure interdisant les convois. En effet, Souvent ces derniers provoquent de tels embouteillages qu’on a l’impression qu’un enterrement peut en provoquer un autre. Car, au même moment si une ambulance doit transporter quelqu’un d’urgence à l’hôpital pour lui sauver la vie, c’est peine perdue. En plus, nos routes sont tellement étroites en Haïti, je suis convaincu qu’elles ont été préalablement construites pour les animaux domestiques. Finalement, il semblerait que mon rêve de voir des funérailles sans cette démonstration de foule est loin de devenir une réalité.

Un après midi, alors que je m’apprête à honorer un rendez-vous que j’ai mis des années à avoir avec une amie récalcitrante, mais qui s’est vue enfin tombée sous mon charme. Brusquement, mon téléphone s’est mis à sonner.  Suite à mon rituel « allô ! », une voix féminine me répond. C’était une amie de longue date qui demande à me rencontrer de toute urgence.

J’allais lui dire que si je devais annuler mon rendez-vous pour elle à la dernière minute, il faut qu’elle soit en mesure de me le compenser. Mais, elle m’a devancé et m’a demandé de fixer une heure qui me sera propice. Je me presse de lui rencontrer en supposant qu’elle a été virée par son amant et qu’elle cherche éventuellement un consolateur pour assurer la transition.

Très coquette dans sa jolie robe moulante, mon amie était déjà sur place quand je suis arrivé au restaurant qu’elle a choisi au préalable. En me voyant, elle se dégage de son siège pour m’accueillir.

Elle-     Comment vas-tu mon ami ?

Moi-    Pas aussi bien que toi ! Et toi ?

Elle-     Tu vas me rendre un grand service

Moi-    Ah bon ! Je t’écoute.

Entretemps, elle tient ma main et me dit sur un ton très sérieux : « je veux que tu m’aides à avoir beaucoup de monde aux funérailles de ma mère ». Stupéfait, je prends une gorgée de bière pour cacher mon étonnement. « Avoir beaucoup de monde… je ne comprends pas ».

Mon interlocutrice me rappelle qu’elle est très sérieuse dans sa démarche. « En offrant « un bel enterrement » à ma mère, j’enverrai deux messages à la société : d’une part, ma mère n’était pas n’importe qui elle était très appréciée et très respectueuse, d’où l’intérêt des gens à venir l’accompagner dans sa dernière demeure. D’autre part, je donnerai une réplique sévère à cette amie hypocrite qui soutient dans mon dos que ma mère est effectivement une Sorcière. »

Ta mère n’était pas intelligente sinon, elle serait à date membre de plusieurs chorales. De là, le souci de « *passer droite » serait, pour elle, une simple expression.

Elle poursuit en m’énumérant les autres actions qu’elle a déjà menées. « J’ai payé pour des funérailles de première classe à la pompe funèbre ». Méfiez-vous, ce n’est pas une ligne aérienne, mais les propriétaires savent comment jouer pour gagner du sou en offrant ce service pour cet ultime voyage.

On raconte qu’une fois, le chef d’une morgue faisait appel à un de ses neveux pour lui rédiger une lettre. Le neveu arrive et demande à lui que voulez-vous dire au destinataire ? « Tu es philosophe, je sollicite ton service et tu as le culot de me demander quoi mettre dans  une lettre. Je ne t’aurais pas appelé si je le savais. Pour te dire clairement, le vrai philosophe c’est moi parce que tout le monde passe par ici sous ma direction : Les ingénieurs, les médecins, les journalistes… » Ironise l’oncle.

Revenons à notre sujet.

« J’aurai le plus beau corbillard de la ville avec la fanfare la plus demandée, il ne me reste que toi pour m’aider à trouver tes amis pour que la ville soit bloquée. En plus, Je souhaite que tu portes le joli costume noir que tu portais la dernière fois quand je t’avais vu à la télévision, ainsi tout le monde me verra dans les bras d’un élégant homme. » Se réjouit mon amie.

Là, je crois qu’elle a tout à fait raison !

Après avoir pris congé de ma future protégée (Je serai son garde du corps le jour des funérailles), je commence à soliloquer : Tu peux aller au diable avec ton projet, évidemment tu auras mes épaules pour faire ton simulacre en pleurant car, après tout, qui sait ? Si tu me demande de faire des invitations comme les fiancés le font en prélude à leur jour de noce, il peut y avoir une lune de miel mortuaire après.

Là je pourrais bien m’en charger de l’envoyer au 7e ciel en première classe !

*Quand l’inhumation se fait sans un service religieux au préalable


Ses « plumes poule » !

J’en ai vraiment assez d’entendre dire de notre peuple qu’il est mauvais, qu’il est pauvre ou qu’il est bête. C’est vrai ! Du moins, si on les traite de cette manière, va falloir redéfinir ces mots.

Un jour n’étant pas sortie pour aller travailler, je m’assois tranquillement sur la galerie de ma maison en feuilletant mon quotidien. Vers dix heures environ, je vois arriver vers moi, un peu souriante,  une voisine dans la quarantaine environ.

–          Bonjour !

Et je réponds par le même mot. Avec toute ma gentillesse, parce que moi non seulement je suis gentil, mais j’aime beaucoup ces gens… Oui ces gens ! Qui ont tous un déno commun : Celui d’être à la fois courageux et trop sage, et qui par cela font l’objet de la niaiserie et du mépris des autres.

Elle était vêtue d’une longue robe noire et portait un mouchoir bleu qui laissait apparaitre ces cheveux crépus. Elle trainait une sandale rose tachetée de boue qui en modifie nettement la couleur principale, puis elle était noire comme nous tous, avec un nez plat comme nous tous, des yeux noirs comme nous tous, mais un regard qui ferait penser à ces femmes là (courageuse et fière) qu’on a l’habitude de nous parler à l’école quand nous faisions l’histoire de notre pays.

Après notre salutation, la femme me demande si je n’aurais pas 250 gourdes à lui prêter pour mener un petit commerce. Elle me dit surtout qu’elle m’a fait cette demande parce qu’elle voit en moi quelqu’un de bien, quelqu’un qui est respectueux et qui aime les gens. Et moi je suis tout ému que je me suis demandé : ai-je bien entendu ? Non pas parce qu’elle me dit que je suis gentil, car ça je le sais, mais parce qu’elle m’a demandé 250 gourdes pour faire un commerce.

Au fait, j’avais plus que ça dans mes porches, je pouvais même offrir le triple en cadeau. Mais ce qui m’intriguait, c’est quel genre de commerce peut-on faire avec 250 gourdes ? Alors j’ai lâché

–          Commerce ! Quel genre de commerce ?

–          Vente  de « plumes poule ».

–          Quoi ?

–          Oui des  « plumes poule »… Ah oui ça peut vous étonner, peut-être même que vous pourriez croire que c’est une blague, mais j’ai tout réfléchi et j’ai bien vu comment ça peut marcher.

–          Ah bon ! Et comment ? Qui aurait besoin de quelque chose qu’on peut bien trouver partout et aussi facilement et sans importance…

La dame sourit, comme pour me communiquer que je suis naïf et reprend

–          Vous croyez ! Vous savez jeune homme je ne vise pas n’importe qui pour vendre mes « plumes poule » et puis  vous ne savez pas combien ça peut rapporter quand il y a rareté et besoin excessif en cas de stress, parce que oui les « plumes poule » sont bons pour chasser le stress et les « zòrèy grate ». Demander à votre maman et elle vous le dira, si vous ne voulez pas me croire.

Je suis resté à l’écouter parce que j’ai  senti  au moins qu’elle savait de quoi elle parlait, mais je voulais en savoir plus. Et comme si elle  voyait mon envie, comme si elle sentait que je n’étais pas assez convaincu, elle renchérit.

–          Les plumes poule  sont parfaits pour les gens qui sont souvent en mal de stress et qui souffre du « zòrèy grate ». Ça nous apporte une douceur nous permettant de nous relaxer et en même temps nous libère du picotement. Savez-vous que j’ai même entendu dans la bouche d’un étudiant que quand on passe une plume poule c’est comme si on faisait le sexe.

–          Mes clients seront les politiciens !

Je suis resté avec l’air de quelqu’un qu’on prendrait pour un con. J’allais lui dire que si elle voulait faire une blague, elle n’avait pas besoin de passer par la car je ne suis pas du genre à repousser les gens et que je me rends bien compte qu’elle n’était pas folle. Elle jaillit… comme si elle savait ce qui allait sortir de ma bouche.

–          Mais ce n’est pas une blague mon voisin ! Croyez-vous que tout en ayant pas l’habitude de venir chez vous,  j’aurais pu venir pour vous faire une blague pareille. Je suis peut être malheureuse, mais je suis quand même respectueuse.

Je fais signe d’acquiescer et elle continue

–          J’entends offrir mes « plumes poule » au politicien de mon pays. J’apporterai ma marchandise dans leur bureau. Vous savez  dans leur bureau ils ne peuvent pas en trouver. Et puis dans leur bureau ils sont tellement stressés par tout le mal qu’ils font. Je ne regarde pas souvent la télé moi, d’ailleurs j’ai même pas de télé. Mais, mes deux petits garçons m’ont dit que l’autre jour en regardant la télé chez le voisin d’à côté,  ils ont vu plusieurs assis dans leur réunion et qui tout en parle-et-mentant se grattent les oreilles avec le petit doigt. Et puis il y a Jacquelin, mon grand cousin, qui travaille là-bas (dans leur bureau). Il me dit que souvent il voit plusieurs se hâtant pour sortir leurs bourses et se demandant où est ma « plume poule » ? Elle était là ma « plume poule ». Quelqu’un n’a pas une « plume poule » à me prêter ? Donc, vous voyez j’ai bien raison d’aller vendre mes « plumes poule » à ces gens, parce qu’ils en ont toujours besoin.

Je la regardais pensif… Et elle continue…

–          Ce n’est pas tout, Jocelyne, une voisine, m’a dit qu’il a déjà vu un cherchant l’objet avec intérêt dans l’arrière cours de sa maison. Quand il avait  enfin réussi à le trouver, il s’empressait de s’en servir tel une bête en besoin d’accouplement.

Franchement je ne pouvais pas m’empêcher d’éclater de rire, de rire de toutes mes forces. D’une part parce que la femme à l’air d’une vraie blagueuse, mais parallèlement elle avait l’air très sérieuse. Alors je mets un terme à mon rire pour lui demander ceci :

–          Tu aimes bien nos politiciens n’est-ce pas, parce que vouloir leur apporter ta marchandise pour apaiser leur stress même si c’est pour de l’argent, je trouve ça vraiment généreuse de ta part. Mais pourquoi tu voudrais tant les aider, eux qui ne font rien pour toi et qui te font si mal, d’ailleurs toi-même tu l’as reconnues au début. Ils veulent toujours que tu sois dans cet état, que tu mendies pour tes fils qui trainent dans les rues. Tout ce qu’ils veulent en toi c’est ton petit doigt pour tremper à l’encre indélébile lors des élections, après ta misère tu peux en faire ce que tu veux, Ça leur est complètement égal.

Alors la femme me regarde avec un peu de peine en décrochant un léger sourire et dit :

–          Vous, les jeunes… Comme tu es mon possible prêteur et que je n’ai pas d’autre choix, alors je suis bien obligé de tout te dire

–          Ce petit commerce est pour moi une façon de jouer une dernière carte pour voir comment je pourrais frapper la conscience du père de mon premier garçon. Et oui, il fait partie de ces gens qui sont en mal continue de stress, qui n’arrive à dormir le soir à cause de leur dette, leur démagogie et leur inconscience… Tiens, moi il m’a fait tant souffrir en me laissant un fils sans père et voilà que maintenant j’ai pris un autre, c’est sa faute. Il a pris tout l’argent d’un petit commerce que j’avais pour faire ses élections et m’as promis de me rembourser, aujourd’hui je n’ai plus de ces nouvelles. Il passe dans la rue sur sa grosse voiture à toute vitesse. Quand il me voit, il fait mine de ne jamais me connaitre. Je n’ai jamais le courage de dire à mon fils qui est son père. Et ça me ronge car il me le demande souvent. Alors penses-tu que je vais rester les bras croisés jeune homme. Je pourrais aller faire du scandale au bureau là-bas. Mais ce n’est pas mon point fort. Je pourrais vendre mon corps pour le faire lyncher, mais je ne suis pas doué pour ça et puis il y a ma conscience et ma foi. Donc mes « plumes poule » parleront pour moi. Je vais attaquer sa conscience. Mais oui, enfin, il faut bien trouver un bon moyen pour attaquer fortement la conscience de ces gens. C’est de cette façon que je crois qu’on va pouvoir les vaincre. « Frapper ce qui leur reste comme humanité » !

–          Je vais vendre mes « plumes poule » au parlement. Je vais me faire connue là-bas, et faire de tous ces élégants-beaux-parleurs mes clients. Je vais être populaire au point qu’on ne passera pas un jour sans penser à moi. Et quand pour mon bon plaisir je reste chez moi, je me réjouirais de penser comment il souffre du « zòrèy grate », et comment le stress leur envahit. Je serai enfin ravie de savoir qu’au moins je compte pour eux. Que j’ai quelque chose, une toute petite chose, qu’ils n’ont pas, qu’ils ne peuvent ou qu’ils ne veulent pas avoir parce qu’ils sont trop occupés à ne rien faire. Je partagerai cette joie et cet argent avec mes garçons avec la fierté de le gagner dans de bonnes conditions. Quant au père de mon fils il saura que je suis la marchande populaire et hors du commun du milieu qu’il a pillée et méprisée. Même s’il ne vient pas devant moi pour acheter, je sais qu’il empruntera mes « plumes poule » à ses amis, car je sais qu’il souffre du « zòrèy grate », et cette douceur que mes plumes lui apporteront, il saura que c’est  de moi que ça vient. Cette nuit-là, il sera tourmenté car il se rappellera de tout. Et même s’il déciderait de ne plus s’en servir, quand même il entendra parler de moi. Je serai la plume qui lui apporte la douceur, la plume qui lui rappellera son passé, la plume qui fera surgir en lui la conscience de son inconscience. La plume de son bonheur, la plume de ces malheurs.

A ces mots je me tais, sans pouvoir ajouter un mot, je tire 500 gourdes dans ma poche. Je tends le billet vers elle, elle le prend en disant merci mon garçon. Je lui dis bonne chance et que j’espère que ça marchera… Elle répond :

–       Tu auras de mes nouvelles!

*Zorey grate: Picotement à l’oreille