Une mise en-terre-ment comme une mise en scène

30 novembre 2012

Une mise en-terre-ment comme une mise en scène

une peinture de Préfète Duffaut. Credit photo (alterpresse)

« Tout le monde veut aller au ciel mais personne ne veut mourir », me répète ironiquement un ami à chaque fois qu’il croise mon chemin. En bon chrétien, je ne peux pas l’encourager dans cette voie face à mes frères et sœurs mais au fond, je dis qu’il a raison. A l’église on nous enseigne que la mort en christ n’est pas une perte. Par contre, quand un fidèle est malade, il n’attend que sa guérison pour venir témoigner sa victoire sur la mort. On dirait quelqu’un qui se réjouit d’avoir raté le jackpot alors qu’il a misé. Bien qu’en réalité, personne ne peut faire obstacle à cette dernière quand elle décide de faire son apparition.

Je me demande souvent pourquoi les autorités ne prennent jamais une mesure interdisant les convois. En effet, Souvent ces derniers provoquent de tels embouteillages qu’on a l’impression qu’un enterrement peut en provoquer un autre. Car, au même moment si une ambulance doit transporter quelqu’un d’urgence à l’hôpital pour lui sauver la vie, c’est peine perdue. En plus, nos routes sont tellement étroites en Haïti, je suis convaincu qu’elles ont été préalablement construites pour les animaux domestiques. Finalement, il semblerait que mon rêve de voir des funérailles sans cette démonstration de foule est loin de devenir une réalité.

Un après midi, alors que je m’apprête à honorer un rendez-vous que j’ai mis des années à avoir avec une amie récalcitrante, mais qui s’est vue enfin tombée sous mon charme. Brusquement, mon téléphone s’est mis à sonner.  Suite à mon rituel « allô ! », une voix féminine me répond. C’était une amie de longue date qui demande à me rencontrer de toute urgence.

J’allais lui dire que si je devais annuler mon rendez-vous pour elle à la dernière minute, il faut qu’elle soit en mesure de me le compenser. Mais, elle m’a devancé et m’a demandé de fixer une heure qui me sera propice. Je me presse de lui rencontrer en supposant qu’elle a été virée par son amant et qu’elle cherche éventuellement un consolateur pour assurer la transition.

Très coquette dans sa jolie robe moulante, mon amie était déjà sur place quand je suis arrivé au restaurant qu’elle a choisi au préalable. En me voyant, elle se dégage de son siège pour m’accueillir.

Elle-     Comment vas-tu mon ami ?

Moi-    Pas aussi bien que toi ! Et toi ?

Elle-     Tu vas me rendre un grand service

Moi-    Ah bon ! Je t’écoute.

Entretemps, elle tient ma main et me dit sur un ton très sérieux : « je veux que tu m’aides à avoir beaucoup de monde aux funérailles de ma mère ». Stupéfait, je prends une gorgée de bière pour cacher mon étonnement. « Avoir beaucoup de monde… je ne comprends pas ».

Mon interlocutrice me rappelle qu’elle est très sérieuse dans sa démarche. « En offrant « un bel enterrement » à ma mère, j’enverrai deux messages à la société : d’une part, ma mère n’était pas n’importe qui elle était très appréciée et très respectueuse, d’où l’intérêt des gens à venir l’accompagner dans sa dernière demeure. D’autre part, je donnerai une réplique sévère à cette amie hypocrite qui soutient dans mon dos que ma mère est effectivement une Sorcière. »

Ta mère n’était pas intelligente sinon, elle serait à date membre de plusieurs chorales. De là, le souci de « *passer droite » serait, pour elle, une simple expression.

Elle poursuit en m’énumérant les autres actions qu’elle a déjà menées. « J’ai payé pour des funérailles de première classe à la pompe funèbre ». Méfiez-vous, ce n’est pas une ligne aérienne, mais les propriétaires savent comment jouer pour gagner du sou en offrant ce service pour cet ultime voyage.

On raconte qu’une fois, le chef d’une morgue faisait appel à un de ses neveux pour lui rédiger une lettre. Le neveu arrive et demande à lui que voulez-vous dire au destinataire ? « Tu es philosophe, je sollicite ton service et tu as le culot de me demander quoi mettre dans  une lettre. Je ne t’aurais pas appelé si je le savais. Pour te dire clairement, le vrai philosophe c’est moi parce que tout le monde passe par ici sous ma direction : Les ingénieurs, les médecins, les journalistes… » Ironise l’oncle.

Revenons à notre sujet.

« J’aurai le plus beau corbillard de la ville avec la fanfare la plus demandée, il ne me reste que toi pour m’aider à trouver tes amis pour que la ville soit bloquée. En plus, Je souhaite que tu portes le joli costume noir que tu portais la dernière fois quand je t’avais vu à la télévision, ainsi tout le monde me verra dans les bras d’un élégant homme. » Se réjouit mon amie.

Là, je crois qu’elle a tout à fait raison !

Après avoir pris congé de ma future protégée (Je serai son garde du corps le jour des funérailles), je commence à soliloquer : Tu peux aller au diable avec ton projet, évidemment tu auras mes épaules pour faire ton simulacre en pleurant car, après tout, qui sait ? Si tu me demande de faire des invitations comme les fiancés le font en prélude à leur jour de noce, il peut y avoir une lune de miel mortuaire après.

Là je pourrais bien m’en charger de l’envoyer au 7e ciel en première classe !

*Quand l’inhumation se fait sans un service religieux au préalable

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Commentaires

Osman Jérôme
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Parfois, la logique nous impose à demander: à quoi ça sert ces funérailles festives de «fè yo wè». Le plus ridicule dans cette affaire, c’est que parfois, beaucoup de membres de la famille du disparu meure de faim pendant qu’on gaspille tous ces argents dans ces patati-patata insignifiants. Et, qui sait même, si le défunt ou la défunte en question n’a pas été succombe à une grande faiblesse ? Suivez mon regard.
Très beau billet frangin.

Wilney
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En plus des fois ils pleurent pour plaire a eux même alors qu'ils ont eux même provoque la mort du proche: soit par leur manque de respect ou par leur mesquinerie. Merci frérot!

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La chute du billet est excellente ! Ahah :)

Wilney Taris
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Merci Axelle!